La Bolivie trébuche sur la Marche du siècle
16 mars 2019, tandis qu’en Europe des manifestants de tous âges arpentent les rues des grandes villes pour réclamer enfin des mesures significatives susceptibles de sauvegarder l’avenir de la planète, ils ne sont qu’une poignée d’étudiants à crier des slogans et agiter des pancartes sur les marches du parvis de la cathédrale de Santa Cruz. Ils ont bien du mérite tant les problématiques écologiques et environnementales semblent à dix mille lieues des préoccupations, de la réflexion et des comportements du Cruceño lambda. Citons pêle-mêle les dizaines de sacs plastique avec lesquels un personnel dédié emballe vos courses dans tous les supermarchés, l’absence totale de tri des déchets et l’organisation chaotique du ramassage des ordures, la pratique répandue de balancer les dits déchets n’importe où ou de les entasser au coin des rues de façon sauvage, l’abandon des rues à une circulation automobile omniprésente combinant des puissants et gourmands quatre-quatre et des taxis et micros vétustes dont s’échappe une fumée noirâtre…
A ajouter au tableau : le développement non maîtrisé d’une mégapole de 2 millions d’habitants qui s’étale de plus en plus largement sans une réflexion minimale sur les problèmes de transports de population induits ainsi qu’un recours généralisé de la population à la climatisation pour lutter contre la touffeur tropicale de l’endroit. A ce stade de la chronique, le lecteur ou la lectrice qui vient de défiler en Europe avec une pancarte « La banquise, pas les banques » doit déjà être en train de réfléchir à la façon la plus respectueuse de l’environnement de mettre un terme prématuré à son existence qui de toute façon a peu de chance de se prolonger très longtemps…
La pachamama violentée
Mais son calvaire n’est pas fini. Si Santa Cruz fait très fort en la matière (31 % des ordures du pays avec plus de 1600 tonnes par jour !), c’est la Bolivie toute entière qui se révèle particulièrement négligente face à l’application de la CCNUCC censée lutter contre le réchauffement climatique mondial. Un comble dans un pays où la plupart des communautés avaient développé une culture et un mode de vie en harmonie complète avec la mère nature. Le très socialiste Evo Morales, malgré une langue de bois convenue sur le sujet, n’hésite jamais longtemps à sacrifier l’écologique à l’économique. Il finance et inaugure à tour de bras des aéroports, des routes dans un pays qui, s’il souffre d’un déficit important de voies de communication, est aussi une réserve écologique incomparable et un des poumons verts de la planète. Depuis 2011, Evo est en conflit ouvert avec les communautés indigènes de la région amazonienne du Tipnis, qui refusent la construction d’une route traversant leur territoire dont il se dit qu’elle sert surtout les intérêts des cultivateurs de coca et des industriels brésiliens. Pour consolider les bons chiffres de croissance du pays, Evo n’hésite pas non plus à élargir le territoire des éleveurs de bétail du pays sacrifiant la forêt tropicale. La Bolivie est dans le top ten des pays qui déforestent le plus. Quant à l’industrie, c'est aussi un cheval de bataille du chef d’Etat qui tente de développer des technologies de transformation maison pour évacuer les multinationales. Ce n’est pas encore le cas pour le moment, Total, par exemple, continue d’être aux manettes pour l’extraction du gaz et le potentiel énorme du Salar d’Uyuni, première réserve mondiale de lithium est (heureusement ?) toujours quasi-inexploité.
A la décharge d’Evo, on fait largement pire dans le reste de l’Amérique du Sud. Le faible nombre d’habitants de la Bolivie (11 millions) réduit les dégâts comparativement aux autres pays de la zone. Que penser par exemple de l’Argentine, qui faute d’être championne du monde de football (hin hin !), occupe certainement le leadership en termes d’élevage de bovins, d’alimentation carnée, de cultures extensives boostées aux pesticides et aux OGM ou de déplacements aériens rapportés à son nombre d’habitants ? On ne parlera pas non plus du géant brésilien, désormais aux mains d’un Bolsonaro dont l’environnement doit être le dernier des soucis.
Une note positive pour tenter d’empêcher le marcheur ou la marcheuse du siècle de commettre l’irréparable ? Il faut peut-être la chercher dans le regard plein d’espoir des jeunes Boliviens sur la place du 24 septembre, dans le téléphérique de La Paz qui révolutionne les déplacements urbains ou dans la jolie petite ville tropicale de Concepción, presque sans voiture et qui pratique le tri sélectif grâce à de charmantes poubelles de rue…