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Diario (chiquito) de Bolivia
Journal bolivien subjectif et aléatoire
Suivez le FIL : en alternance , une Figure, une Idée, un Lieu en quasi-direct de l'état plurinational
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12 mai 2019

La victoire d'Hugo

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7 mai 2019, Master 1000 de tennis, stade Manolo Santana, au fond du court, dans la lumière rougeoyante du printemps madrilène renvoyée par l’ocre de la terre battue, Gilles Simon, le champion français baisse la tête. En trois sets disputés (4/6 6/1 7/6), le numéro 29 mondial vient de subir la loi d’un quasi-inconnu de 25 ans, le Bolivien Hugo Dellien. Le tennisman tricolore commence à échafauder intérieurement l’argumentaire convenu qu’il déploiera en conférence de presse dans une demi-heure : douleur au genou, préparation écourtée, tortilla pas fraîche et soleil dans les yeux… De l’autre côté du filet, Hugo bondit de joie, se prend la tête à deux mains, cherche les regards complices de son clan, goûte les applaudissements de la foule espagnole plus accoutumée à croiser des Boliviens serveurs de restaurant ou pompistes que des champions de tennis. Hugo, maintenant enveloppé d’un drapeau bolivien descendu des tribunes, sait trop bien l’importance de cette victoire. Outre le retentissement dans son pays natal, ce succès lui permet d’intégrer les 100 premiers classés à l’ATP, lui ouvrant l’accès direct aux tableaux des grands tournois sans passer par des qualifications éreintantes et risquées. Mais c’est aussi la juste récompense de plus de 10 années passées à voyager, à s’entraîner dur, à lutter pied à pied dans l’univers sans pitié des "future" et des "challenger", ces tournois de seconde zone, marchepieds sans concession de l’élite, où les rêves d’enfants viennent se confronter à l’âpre réalité d’un tennis vécu comme un combat de rue.

261827De Trinidad à Wimbledon

Enfant d’une famille aisée de Trinidad dans le Beni, province tropicale du Nord de la Bolivie, Hugo empoigne sa première raquette à l’âge de 4 ans même s’il est doué aussi pour le foot ou le basket. L’idée de sa mère est de profiter des aptitudes sportives d’Hugo pour lui faire obtenir une bourse sportive et l’envoyer étudier dans une université américaine. Mais les professeurs de tennis du garçon décèlent chez lui un talent hors-normes qui éclate rapidement dans les tournois locaux où il inflige régulièrement des déculottées à des adversaires de 3 ou 4 ans plus âgés. A  14 ans, Hugo abandonne à la fois son collège et le Beni pour des études en ligne et un entraînement régulier en compagnie d’un entraîneur de Santa Cruz, Mauricio Solis. Celui-ci endosse le rôle de nounou, d’éducateur, de diététicien et de préparateur physique et technique pour transformer le diamant brut de Trinidad en un compétiteur prêt à guerroyer sur tous les terrains d’Amérique du Sud, puis de monde entier. Hugo veut devenir professionnel et rentrer dans les 50 premiers mondiaux.  Malgré l’absence de soutien logistique et financier, le jeune bolivien franchit peu à peu les étapes et se lance sur le « deuxième » circuit accompagné par un coach argentin. Doté d’une bonne condition physique, peu souvent blessé, il est particulièrement performant sur terre battue, grâce à un bon coup droit qu’il peut déclencher en pleine course, un revers slicé bien maîtrisé et un toucher de balle bien senti. A son actif, quatre titres en tournoi challenger, une place dans le top 100 en mars 2018 qui lui permet d’entrer pour la première fois l'an dernier dans le tableau principal d’un tournoi du grand chelem (Wimbledon).

Hugo à Roland

2019 est d’ores et déjà une année faste pour Hugo Dellien. Avant sa victoire mémorable à Madrid, il s’était déjà hissé en quarts de finale du tournoi ATP 500 de Rio et de l’ATP 250 d’Estoril. L’avalanche de louanges sur les réseaux sociaux et la couverture médiatique suite à son dernier exploit aux dépens du champion français traduisent bien l’engouement pour le sport des Boliviens. Pourquoi ce peuple endurant, sportif, bénéficiant des bienfaits de l’altitude et doté d’une fibre nationaliste assorti d’un esprit collectif hors du commun n’est-il pas mieux représenté sur la scène sportive internationale ? Question d’infrastructures insuffisantes et d’un déficit de formation autant que d'’encadrement sans doute. Les Boliviens sont passionnés de racquetball et très adroits dans ce sport de raquette qui se joue sur un fronton un peu comme la pelote basque. Mais s’ils veulent jouer au tennis, il leur faudra déjà trouver un terrain, présent seulement dans les grandes villes et s’acquitter d’au moins 500 dollars annuels pour devenir socio d’un club et pouvoir y taper la balle jaune. Ce n’est plus le problème d’Hugo qu’on paye maintenant pour jouer. Après avoir brillamment résisté à Madrid au numéro 9 mondial Nikishori, son prochain rendez-vous, c’est Roland Garros auquel il accédera sans passer par les qualifications.

Si vous traînez début juin du côté de la porte d’Auteuil, n’oubliez pas d’aller brailler quelques « Vamos ! » à destination d’Hugo, même s'il joue contre un Français !

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