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Diario (chiquito) de Bolivia
Journal bolivien subjectif et aléatoire
Suivez le FIL : en alternance , une Figure, une Idée, un Lieu en quasi-direct de l'état plurinational
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23 mars 2020

! Quédate en casa !*

DSC_1477 (2)Coronavirus ! Le mot comme la maladie traversent allègrement les frontières. Un vrai régal pour les espérantistes. Dès l’âge de deux, trois ans, et depuis une quinzaine de jours, les petits Boliviens se plaisent à répéter cette alternance jouissive de consonnes qui claquent et de voyelles chantantes en roulant bien le r comme il se doit. Aujourd’hui, ils sont bien les seuls à rigoler. Depuis ce dimanche 22 mars, la Bolivie est à son tour en confinement et en quarantaine.

Une entrée remarquée

Avec sa situation enclavée et ses rares liaisons aériennes internationales, le pays a longtemps résisté à l’envahisseur mais comme une ironie de l’histoire, c’est encore d’Espagne qu’a surgi le maléfique virus couronné.  La malheureuse « patiente 0 », de retour de visite à sa famille émigrée en Espagne, se souviendra longtemps de l’hospitalité légendaire de Santa Cruz. Le mercredi 11 mars, la sexagénaire développe certains symptômes caractéristiques du Covid 19 et alerte les services médicaux depuis son village de San Carlos situé à une centaine de kilomètres de Santa Cruz. L’ambulance qui la convoie, à l’approche de l’hôpital, doit affronter un barrage de « voisins » lui obstruant la route par peur de la contamination. Après ce geste barrière inédit, l’ambulance dûment caillassée par les aimables voisins, se fait ouvrir la voie par la police. Las, en parvenant au portail d’un des plus gros hôpitaux de la ville, le véhicule trouve celui-ci cadenassé. Le personnel médical et les patients ont décidé de refuser l’entrée à la malade pour les motifs déjà cités, invoquant le défaut de moyens et l’absence de locaux confinés pour la soigner. Le premier épisode d’un périple qui durera toute la journée où l’équipage de pestiférés se verra refuser l’accès de six autres hôpitaux avant que la municipalité ne trouve d’urgence une maison particulière inoccupée pour enfin accueillir la patiente et entamer les soins. Un exploit unique au monde dont on n’a pas beaucoup parlé (heureusement) à l’étranger mais qui vaudrait certainement à Santa Cruz une inscription expresse au Patrimoine de l’inhumanité si l’Unesco avait le mauvais gout d’en créer un. Les lecteurs fidèles de ce blog ne seront qu’à moitié surpris, ayant sans doute découvert au fil des chroniques que les valeurs de civisme et de solidarité ont encore une certaine marge de progression en terre camba.

La Bolivie de nouveau à l’arrêt

Juste après le Carnaval, le virus fait ainsi son entrée en fanfare dans le pays. Dès le lendemain, l’ensemble des élus et des responsables politiques montent au front pour rappeler leur devoir aux professionnels médicaux et l’importance du droit universel à la santé à tous les citoyens Boliviens. En cette période pré-électorale, Jeanine Añez, récemment déclarée candidate, joue gros et le gouvernement fait son possible pour montrer sa capacité à réagir face une pandémie qui pourrait avoir des conséquences catastrophiques dans une Bolivie manquant de structures de soin, de personnel de santé et dont la population majoritairement démunie vit dans de conditions de salubrité déficientes. En Amérique Latine, si on est loin des chiffres asiatiques ou européens, le virus pointe son nez un peu partout et dans tous les pays frontaliers de la Bolivie. Lentement et régulièrement, des cas « importés » apparaissent à Oruro, à Santa Cruz et à La Paz. Le vendredi 13 mars (!), la présidente décide de fermer les écoles, de suspendre les vols internationaux et d’interdire les rassemblements de plus de 100 personnes alors que 11 cas seulement sont déclarés. Une semaine plus tard, toujours pas de flambée épidémique (24 cas et pas de décès), mais le gouvernement durcit le ton. On est passé en phase 3 avec des contaminations locales à Santa Cruz et depuis ce dimanche 22 mars, c’est officiellement la quarantaine qui est décrétée : fermeture totale des frontières, de la plupart des services privés et publics, exceptée l’alimentation dont l’ouverture est tolérée de 8 heures à 13 heures ; transports publics et privés supprimés ; interdiction absolue de circuler après cette heure avec contrôle strict de la police. Après le « paro » du mois d’octobre, la Bolivie bascule de nouveau dans une léthargie complète pour une période indéterminée.

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Jusqu'à quand ?

Comme en Europe, l’incertitude demeure sur la durée de ce confinement. Au moins jusqu’au 5 avril mais quel sera l’avancement de l’épidémie à cette date ? Contrairement à la France, la Bolivie, comme ses voisins à l’exception du Brésil, a pris très tôt des mesures drastiques au risque de devoir les prolonger très longtemps. L’enjeu est énorme car si le virus se répand dans le pays, les conséquences seront vite dramatiques au plan économique mais surtout au plan humain. Il n’y aurait que 23 respirateurs artificiels à Santa Cruz qui compte plus d’un million d’habitants. Même si on en obtenait plus, on trouverait difficilement les professionnels qualifiés pour les faire fonctionner. Pour l'heure, l’économie informelle, les marchés de rue ne s’arrêtent pas malgré les consignes gouvernementales. Aujourd’hui le quartier défavorisé de Plan 3000 vivait une journée ordinaire alors que le reste de la ville était désert. Les fameux gestes barrière promus et popularisés par tous les organes de presse et par la communication gouvernementale restent une vue de l’esprit pour ces populations qui survivent grâce aux quelques bolivianos qu’ils ramènent tous les jours de leur commerce. Contrairement à la variole des conquistadors, le coronavirus ne choisira pas ses victimes chez les indigènes mais certains sauront et pourront s’en protéger alors que d’autres l’accepteront comme un caprice du destin. Si l’histoire ne repasse pas les plats, il semblerait qu’elle puisse en réchauffer quelques-uns.

Guérir de l'épilepsie

Puisque seul le temps qui passe donnera une réponse aux nombreuses questions en suspens, le bloggeur confiné résistera à la tentation de gonfler les rangs des philosophes et des économistes de comptoir qui fleurissent dans la période. Il ne peut toutefois s’empêcher de saluer la virtuosité d’un virus qui plonge le monde dans la crise tout en lui donnant une respiration propice à réfléchir aux chemins à explorer pour sortir de ce que Sylvain Tesson appelle l’épilepsie de nos sociétés. Un brin pervers, le coronavirus nous met aussi le nez dans des dérives bien contemporaines. Il nous contraint ces jours-ci à nous dédier jusqu’à l’écœurement aux deux passions qui sont les béquilles de nos vies privées : notre chère progéniture et les indispensables réseaux sociaux.

*Reste chez toi

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