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Diario (chiquito) de Bolivia
Journal bolivien subjectif et aléatoire
Suivez le FIL : en alternance , une Figure, une Idée, un Lieu en quasi-direct de l'état plurinational
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4 mai 2020

Simón Patiño, le roi de l’étain

indexCe premier mai, alors que l’épidémie de coronavirus envahit inexorablement une Bolivie toujours confinée, le gouvernement vient d’autoriser les coopératives minières à reprendre leur activité. Cadeau empoisonné le jour de la fête du travail mais nécessité pour les milliers de mineurs boliviens qui n’ont d’autre solution que de fouiller les entrailles d’une terre de moins en moins généreuse pour nourrir leur famille. En plus du danger des éboulements produits par les explosions qu’ils déclenchent eux-mêmes, de la silicose qui ronge leurs poumons et les condamne souvent à une mort prématurée, ils devront affronter ce nouvel ennemi invisible dont on doute fort qu’ils pensent à se protéger au moyen des mesures barrière dont le gouvernement leur rebat les oreilles. Les mines et les mineurs sont un élément central de l’histoire post-coloniale du pays. Chacun a entendu parler de la fabuleuse histoire du Cerro Rico de Potosi, incroyable réserve d’argent qui a alimenté la puissance coloniale espagnole en métal précieux pendant près de deux siècles. On connait moins l’aventure des «barons de l’étain» qui ont fait fortune au début du  XXème en asséchant les réserves minières boliviennes et du plus célèbre d’entre eux : Simón Patiño.

Le bon filon de Simón

La vie de Simón Patiño, métis de la classe moyenne de Cochabamba, né en 1860 d’un père basque et d’une mère chola, a tout de la success story à l’américaine. Le jeune Simón commence sa carrière comme simple employé d’une entreprise commerciale puis il déménage à Oruro où il dégotte une place d’administrateur dans la compagnie minière Hermann Fricke y Cia. Il découvre ce secteur à l’époque en pleine restructuration après le déclin du filon d’argent de Potosi. Simón y apprend les mécanismes de l’achat, de la manipulation, de la vente et de l’exportation des minerais. En 1889, il se marie avec une Orureña de 16 ans, Albina Rodriguez avec qui il aura sept enfants, mais c’est la rencontre la même année avec un mineur de Potosi dénommé Sergio Otero qui va faire définitivement basculer l’existence de Simón. Sergio possède une concession minière rachetée à un français dénommée La Salvadora située sur la montagne Juan del Valle. Le mineur, qui vend son minerai à la compagnie Herman Fricke, manque de liquidités pour acheter sa dynamite et rémunérer les cinq peones qui travaillent pour lui. Simón, sentant la bonne affaire, accepte d’avancer de l’argent et signer un contrat avec Sergio. Ce dernier assurera la partie exploitation tandis que Patiño prendra en charge le domaine de la commercialisation dans lequel il excelle. Mais le filon d’étain s’épuise et Sergio se lasse de travailler dur pour des nèfles. Trois ans plus tard, il met les pouces et propose de vendre l’affaire. Simón Patiño ne veut pas vendre. Il n’est pas beaucoup plus riche que son associé mais conserve, au fond de lui, une croyance quasi-mystique dans les potentialités de La Salvadora. Il se fait prêter de l’argent par la Fricke, lui accordant en échange une brève période d’exploitation de la mine, et en devient l'unique propriétaire. A cette époque, Il vit dans des conditions précaires au pied de la mine, loin de sa famille, à 4000 mètres d’altitude, accompagnant ses quelques employés au fond des galeries pour ramener des quantités d’étain dérisoires, sans autres outils que des marteaux, des pioches et un broyeur à main rudimentaire pour écraser le minerai.

Un jour, l’un de ses mineurs revient vers lui, excité. Il vient de mettre à jour au fond de la mine une large et longue veine de cassitérite. A l’aube, Simón selle son cheval pour se rendre jusqu'à la ville de Huacani dans les bureaux de la compagnie minière Penny & Duncan afin de faire analyser trois échantillons de minerai. Le lendemain midi, les résultats des analyses tombent, les prélèvements contiennent respectivement 58%, 56% et 47 % d’étain. Simón Patiño est le propriétaire du filon d’étain le plus important de la région et sans doute de la mine la plus riche du monde. En moins de dix ans, il va amasser la plus grosse fortune d’Amérique du Sud.

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Le beau début, la drôle de fin

Mais après l’épique et le romanesque, c’est une autre histoire qui s’écrit, dans laquelle spoliation et appropriation riment avec exploitation et corruption. Depuis la conquête de l’Amérique du Sud par les Espagnols et les Portugais, le pillage des gigantesques ressources de ce continent inexploré a lancé les bases d’une mondialisation qui, depuis, n’a fait que croître et embellir jusqu’à étouffer la planète aujourd’hui. Après l’or, l’argent, le sucre, le caoutchouc, le cacao et le café et avant le cuivre et le pétrole, l’étain rentre dans la ronde cruelle et dévastatrice du cycle des matières premières arrachées au sol originel pour profiter, non pas aux territoires qui les abritent et à leurs habitants mais à ceux, qui, déjà riches, les importent pour les transformer, les vendre et en faire un objet de spéculation financière*.

Simón Patiño est « the right man at the right place ». L’industrialisation galopante du début XIXe Siècle accroit la demande, les États-Unis en pleine croissance ne sont plus auto-suffisants en la matière et la Grande guerre de 14-18 va décupler les besoins en étain. Selon un mécanisme bien connu qui veut que l’argent ruisselle vers ceux qui en ont déjà, Simón profite de sa découverte providentielle dans ce coin pelé des Andes pour racheter d’autres mines, d’autres compagnies. De quoi améliorer un peu le sort des indigènes qui triment pour lui dix heures par jour sous terre depuis l’âge de 10 ans jusqu’à leur mort précoce ? Raté ! Simón préfère se gagner les sympathies de la police, de l’armée qui réprimeront dans le sang les grèves et les révoltes des mineurs, immanquable rançon d’une exploitation inhumaine. À cette époque, les systèmes politiques d’Amérique du Sud n’existent que pour huiler les rouages d’une économie exclusivement dédiée à l’enrichissement des grands consortiums étrangers et à la préservation d’un niveau de vie acceptable pour la nomenklatura locale. Simón devient donc faiseur de président et favorise en 1904 l’accession de son ami le général Ismaël Montes à la magistrature suprême. En 1906, il crée sa propre banque et peut ainsi à loisir financer les emprunts d’un État bolivien toujours exsangue. Les intérêts de ceux-ci se maintiennent toujours largement au-dessus des maigres taxes qu’il verse au fisc. On vous l’a dit, Simón a le sens du commerce. Sachant très bien que c’est le secteur de la production qui est le plus rentable, Patiño achète des fonderies en Angleterre et en Allemagne et commercialise directement l’étain transformé. En 1914, il installe sa demeure et ses bureaux à Paris d’où il peut diriger plus facilement son empire industriel et financier (plus tard il s’établira à New York). Un empire désormais suffisamment solide pour résister aux impondérables : la crise de 1929 ne le fait même pas vaciller, il possède près de 50 % de l’étain dans le monde et c’est lui qui fixe les prix.

En 1947 à la mort de Simón, le magazine Fortune affirme qu’il est l’un des dix milliardaires les plus importants de la planète. Il aura vécu 87 ans, soit largement deux fois plus que la plupart des mineurs qui ont fait sa richesse. Si le contexte devient moins favorable avec la nationalisation des mines en 1952, les Patiño, sous la conduite du fils aîné Antenor, continueront à dicter leur loi sur le royaume de l’étain pendant une longue période, la première fonderie bolivienne n’étant construite qu’en 1971.

Aujourd’hui, les filons d’étain s’épuisent en Bolivie et la Salvadora est fermée. Simon Patiño est devenu un mythe et un film se prépare pour raconter son histoire. Si son patrimoine financier s’est éparpillé en faisant la fortune de quelques riches familles héritières, on peut encore visiter la magnifique résidence de sa femme Albina à Cochabamba transformée en musée (voir ci-dessous). Au soir de sa vie, celui qu’on a surnommé le Rockefeller des Andes, a, comme pour se racheter de sa rapacité, créé une fondation dédiée à l'éducation, aux arts et à la culture dont des antennes existent dans les principales villes de Bolivie. Comme tous les grands capitaines d'industrie, Simón préférait la charité à l'impôt.

Malgré cette générosité tardive, pas sûr que la centaine de milliers de mineurs boliviens qui, demain, s’engouffreront à l’aube dans les galeries poussiéreuses, aient une idée de qui il était…

*Lire sur le sujet l’indispensable « Les veines ouvertes de l’Amérique Latine » d’Eduardo Galeano écrit en 1970 et toujours précieux.

Villa Albina

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