Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Diario (chiquito) de Bolivia
Journal bolivien subjectif et aléatoire
Suivez le FIL : en alternance , une Figure, une Idée, un Lieu en quasi-direct de l'état plurinational
Publicité
Newsletter
Derniers commentaires
5 juillet 2020

Mennonites : fini le temps des colonies ?

daa3488a63d1dbdc41ad50d555389cd9_XLIl n’est pas exceptionnel d’entendre parler allemand en Bolivie. Nombreux sont, en effet, les immigrés arrivés d’outre-Rhin pour participer à l’essor industriel du pays ou exilés après la deuxième guerre mondiale à la faveur de la tradition d’accueil peu regardante des pays sud-américains. Plus surprenant est d’avoir affaire au dialecte guttural qui retentit à l’occasion dans les commerces et marchés de Santa Cruz et de sa région. Pas sûr que les citoyens d’ascendance germanique soient capables de comprendre le bas allemand, tout droit venu du XVIIIe Siècle, qui est l’unique langue pratiquée par les quelques 70 000 Mennonites qui vivent actuellement en Bolivie.

Voyage, voyage

Les Mennonites tiennent  leur nom du religieux néerlandais Menno Simons, dissident catholique qui quitte la maison mère en 1536 pour prôner un protestantisme austère au sein duquel le baptême doit attendre l’âge adulte. A l’origine installés en Flandre et dans le Nord de l’Allemagne, les disciples du capitaine Menno, non-violents qui refusent le service militaire, se fixent en Prusse dans le delta de la Vistule (d’où le bas-allemand !). Fuyant la conscription obligatoire et les impôts, on les retrouve ensuite au XIXème Siècle au bord de la Mer Noire dans l’Empire Russe. En 1874, ils choisissent la liberté et les vastes espaces du Nouveau Monde pour émigrer aux Etats-Unis et au Canada. Lorsque ces pays veulent les contraindre à adopter l’anglais, certains mettent le cap au Sud pour fonder des colonies au Mexique, au Belize, au Paraguay... En 1950, la Bolivie, vaste territoire quasi-vierge en quête de peuplement, les accueille à bras ouverts en leur promettant la liberté religieuse, des écoles privées et l’exemption du service militaire. Une hospitalité qui attire nombre de familles mennonites qui affluent de tout le continent américain. Aujourd’hui, ce sont une soixantaine de colonies qui sont établies dans le pays, principalement dans la province de Santa Cruz et au Beni, dont certaines regroupent plus de 6000 personnes. Elles sont principalement issues du mouvement des Mennonites de Russie, fraction particulièrement traditionnaliste et austère d’un courant évangéliste anabaptiste aux nombreuses déclinaisons de par le monde.

Secte sans drogue ni rock’n roll

Adeptes du changement géographique incessant, les Mennonites de Bolivie ne font pas preuve de la même souplesse en termes de mode de vie. Comme leur langue, leur manière de vivre et leurs habitudes sont restées scotchées aux alentours du XVIIIème Siècle. Leur interprétation de la foi chrétienne les conduit à vivre en cercle fermé, à l’écart du pays qui les héberge et de ses habitants. Tous vêtus de la même façon, chemise à carreaux et salopette pour les hommes, robe longue et cheveux attachés pour les femmes, ils refusent toute avancée technologique (véhicules à moteur, électricité, téléphones, informatique…) et se dédient entièrement à l’agriculture, au travail du bois et à la métallurgie. On parle ici bien évidemment des hommes, car les femmes sont strictement cantonnées à la maison, voire à la cuisine, où elles ont fort à faire pour subvenir à la pitance de progénitures très nombreuses atteignant couramment la dizaine. Des enfants dont les seules occasions de sortie sont la messe dominicale qui réunit toute la nota36845_imagen33480communauté et «l’école» où ils se rendent de 6 à 12 ans pour parcourir, décrypter et apprendre sans relâche les versets du Nouveau Testament. Ni musique, ni sport, encore moins alcool ou cigarette, ces divertissements sont considérés comme des relâchements coupables dans une existence monacale où la paresse et le désœuvrement sont des péchés capitaux. Les manquements à ces règles de base sont sévèrement châtiés en interne au moyen de châtiments corporels où l’on y va joyeusement ! Seules entorses à cette vie en autarcie, les sorties au village ou à la ville pour vendre les produits agricoles (soja, maïs, œufs, lait, fromage, viande…) et acheter les rares objets qui ne sont pas fabriqués sur place. Si les déplacements se font en charrette à cheval, on est prêt à quelques exceptions, loi du marché oblige. Le tracteur (avec des roues pleines !) est utilisé dans les champs et on n’hésite pas à solliciter un véhicule et un chauffeur bolivien pour aller jusqu’au marché écouler sa production. C’est le seul moment où la fraction mâle de la communauté s’autorise quelques contacts avec l’indigène, au moyen d’un espagnol rudimentaire entaché d’un fort accent allemand !

mesa

Du désordre dans l'arrière-boutique

La cohabitation avec les Mennonites est généralement plutôt tranquille. Les Boliviens peuvent faire des affaires avec eux, profiter des nombreux produits dont ils inondent les marchés locaux. Sortis de ces échanges commerciaux, les Mennonites sont des voisins à qui on ne va pas taper sur l’épaule mais pas non plus vraiment embêtants, certainement pas du genre à mettre la musique trop fort ou à laisser traîner leurs affaires sales. Mais derrière l’image de famille Ingalls sympathique et désuète véhiculée par ces communautés archaïques et que les touristes visitent un peu comme des réserves indiennes, la réalité est moins lisse. Au plan politique, l’existence de ces états dans l’état, gérés en interne par des "ministres" auto-désignés ayant tout pouvoir religieux, judiciaire, policier et économique, entre en conflit avec les institutions républicaines. La plupart des Mennonites sont de nationalité bolivienne mais ils s’affranchissent allègrement de la plupart de leurs obligations citoyennes, fiscales, éducatives… Quelques exemples ? La déforestation sauvage qu’ils pratiquent pour étendre leurs cultures, l’usage de pesticides et de fertilisants sans aucun contrôle, les programmes scolaires non respectés et remplacés par un endoctrinement d’un autre âge, les crimes et les délits perpétrés au sein des communautés et qui n’en franchissent pas les limites… En 2009, la communauté de Manitoba a été secouée par une affaire de viol qui a défrayé la chronique : une centaine de jeunes filles violées dans leur sommeil après que leurs familles ont été intoxiquées à la belladone. Une poignée de dénonciations courageuses a franchi à grand peine l’enceinte de la communauté et permis d’inculper et de condamner dix Mennonites qui depuis croupissent dans la prison de Santa Cruz. Mais ceux-ci clament leur innocence et les autorités mennonites demandent leur libération au titre de la philosophie chrétienne du pardon.

Le couvercle trop bien fermé de cette cocotte-minute sectaire laisse heureusement échapper de plus en plus de vapeur. On croise des Mennonites dans les centres commerciaux de Santa Cruz, dans les fast-food, au volant de 4x4. Une jeune fille mennonite joue au football dans l’équipe des moins de vingt ans bolivienne, une autre entame une carrière de top-model ! Des familles mennonites, exclues de leur communauté pour déviance, revendiquent une autre façon de pratiquer leur religion. 70 d’entre elles, avec l’appui des autorités publiques, ont créé un nouveau lieu, Villa Nueva, avec une vraie école, des terrains de sport, une salle pour prier mais aussi pour manger, danser ensemble… Le soir, les jeunes rejoignent leurs amis du village voisin en motocyclette… Moins folklorique, mais tellement plus vivant !

IMG_4012 (3)

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité