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Diario (chiquito) de Bolivia
Journal bolivien subjectif et aléatoire
Suivez le FIL : en alternance , une Figure, une Idée, un Lieu en quasi-direct de l'état plurinational
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19 juillet 2020

Éléments de soûlographie bolivienne

DSC_1408Alors que bars, restaurants et boîtes de nuit sont toujours fermés et les rassemblements festifs interdits, plus de cinquante jeunes dont de nombreux mineurs ont été interpellés dans la nuit de vendredi à samedi par la police bolivienne. Surpris dans une propriété privée du centre de Santa Cruz en train de s’enjailler au son du reggaeton et dans un état d’ébriété avancé, ils ont été entassés dans des camionnettes qui les ont conduits sans ménagement au poste de police. Soumis, plutôt qu’à un alcootest au résultat couru d'avance, à un test Covid-19, celui-ci a révélé quatre cas positifs. L’irresponsabilité de ces adolescents inconséquents face à la pandémie tentaculaire qui gagne le pays a déclenché illico l’opprobre généralisé de la presse, de la classe politique et du citoyen lambda confiné. Quant à la quantité d’alcool ingérée à cette occasion, il y a longtemps qu’on considère, en Bolivie comme dans de nombreux pays du monde, qu’il s’agit là d’un mal nécessaire à ce qu’au bout du compte, jeunesse se passe.

Un podium méritoire ?

La Bolivie reste très loin des "performances" de la vieille Europe en matière de consommation d'alcool. Elle occupe néanmoins, avec 8,9 litres d’alcool pur par an et par habitant, la troisième place de la zone Amérique latine et Caraïbes, juste derrière le Chili et lDSC_1412’Argentine, selon une récente étude de l’OMS. Un rang d’autant plus honorable, si l’on adopte le point de vue des limonadiers, que plus de 30 % des Boliviens ont moins de 14 ans. Quant à la plupart des adultes, leur faible pouvoir d’achat ne leur permet pas toujours de consacrer le budget qu’ils souhaiteraient à l’élément liquide. À propos de ce dernier, on constatera de surcroît que la Bolivie ne possède aucun des avantages comparatifs dont disposent la plupart des pays qui figurent en haut du palmarès : vodka omniprésente et bon marché en Europe de l’Est, hectolitres de bière brassés et déversés dans tous les recoins du territoire allemand, whisky et Guinness en Irlande, diversité et profusion du vin en France... Le vignoble de Tarija est peu étendu et cantonné à une faible production (voir ci-contre). La bière, excellente, grâce au savoir-faire importé par les immigrés allemands, reste très chère pour la plupart des bourses boliviennes (comptez 20 bolivianos soit le prix d’un repas pour une mousse au comptoir d’un bar de Santa Cruz). Peu d’alcools forts sont produits en Bolivie, hormis le célèbre Singani, distillé à partir du raisin de Tarija, véritable boisson nationale, qui entre dans la composition du populaire Chuflay (un tiers de Sigani, deux tiers de Ginger ale et une rondelle de citron vert). Autre spécialité locale, la chicha, alcool obtenu à partir de la fermentation du maïs, boisson traditionnelle des Incas, est consommée surtout sur les hauts-plateaux. En Oriente, on préfèrera les cocktails à base de rhum empruntés à Cuba et au Brésil (mojito, Cuba libre, caipirinha), à l’Argentine (l’infâme mixture associant Fernet-Branca et Coca-Cola) ou aux États-Unis (l’incontournable Gin Tonic). L’alcoolisme bolivien n’a même pas le mérite de venir au secours de la balance commerciale déficitaire du pays.

Tristes à la fête

C’est donc plutôt du côté de l’histoire et de la culture qu’on cherchera des éléments explicatifs à ce tropisme bolivien pour l’alcool.  Le sujet étant propice à l’anthropologie de comptoir, on  se risquera à avancer que l’alliance des cérémonies rituelles indigènes mêlant transe et hallucinations avec les fiestas de tous les excès de la vieille Espagne constituent un terreau a priori favorable. Le Bolivien ne boit pas à table, si ce n’est du soda, mais par contre, il n’est pas un évènement, anniversaire, décès, réussite universitaire ou professionnelle qui ne donne lieu à une célébration copieusement arrosée.  Par extension le finde (pour fin de semana), ici une véritable institution, ne saurait être pleinement réussi sans une borrachada initiée le vendredi vers 16 heures et terminée, la bouche pâteuse et le regard vitreux, 12 ou 24 heures plus tard. Ces fêtes boliviennes, fréquentes et fréquentées, ont peu à voir avec la modération, aussi bien en termes de durée que de consommation d’alcool. On peut en mesurer les dégâts le lundi matin dans les rues de Santa Cruz, en croisant des épaves imbibées qui zigzaguent au milieu de la route ou qui gisent inanimées sous les porches ou dans les fossés.

Dès lors qu’on parle d’alcool, l’aspect amusant et folklorique a tôt fait de s’évanouir à l’aune des conséquences sanitaires et sociales sur la société toute entière. Accidents de circulation, du travail, violences conjugales, mauvais traitements envers les enfants, drames sociaux dus à l’alcoolisme font régulièrement la Une des medias boliviens. S’il traverse toutes les couches de la société, l’aspect festif et convivial de l’alcool prend rapidement pour les plus démunis l’allure d’un chemin sans issue. C’est le propos d’un film célèbre en Bolivie, le cimetière des éléphants, basé sur des faits réels qui montre les derniers jours de marginaux désespérés de la Paz qui vont finir leur vie dans un lieu spécialement dédié au suicide par l’alcool.

Fort heureusement, on n’en est pas là pour nos bambocheurs du vendredi soir (voir ci-dessous). Aux dernières nouvelles, la maire de Santa Cruz leur aurait concocté un petit séjour d’une quinzaine dans un pavillon d’isolement réservé aux malades de la Covid 19. Le régime sec devrait leur faire le plus grand bien.

boliviajovenes

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