Mamani : un architecte à la hauteur

Mamani pour les Aymaras, c’est le Dupont français ou le Smith d’outre-Manche. Dans la grande famille Mamani, distinguons cependant Mamani Mamani, peintre des couleurs et de la culture andine et Freddy, l’architecte autodidacte, grand artisan de la transformation d’El Alto.

Le renouveau d’El Alto

El Alto, c’est là où le voyageur débarque de son avion à destination de La Paz, clignant de l’œil sous la lumière crue des Andes et suffoqué par la raréfaction de l’oxygène à plus de 4000 mètres. Dans le taxi qui le descend jusqu'à la capitale bolivienne, le susdit voyageur traverse trop vite cette banlieue fascinante en expansion constante, étape naturelle pour les milliers d’indigènes qui fuient les conditions de vie éprouvante de l’Altiplano pour se réfugier en ville. Comptant aujourd’hui près d’un million d’habitants, El Alto est devenue la deuxième ville de Bolivie après Santa Cruz surpassant sa voisine de La Paz. Cette évolution démographique va de pair avec une mutation économique particulièrement spectaculaire depuis l’avènement d’Evo en 2006. La population majoritairement aymara autrefois condamnée aux travaux des champs, aux tâches d’entretien sous-payées ou au commerce de rue sort progressivement de la misère pour accéder au pouvoir politique, économique mais aussi intellectuel et culturel. C’est sur cette vague née sur les rives du Titica que surfe Freddy Mamani*. S’inspirant de l’iconographie et des symboles de la civilisation de Tiwanaku, reprenant les motifs et les coloris des textiles andins ou des aguayos des Cholitas, Freddy offre depuis une dizaine d’année une alternative chamarrée et rutilante aux constructions de briques rouges dépourvues d’enduit et couverte de tôles qui constitue le triste habitat standard d’El Alto.

 Les cholets comme des champignons

L’idée de génie de Freddy, c’est le « cholet » (fusion du mot chalet : habitation individuelle et chola : femme du peuple aymara) : un immeuble à étages caractérisée par ses couleurs vives et ses décorations géométriques. Au rez de chaussée, un espace dédié au commerce en devanture, avec souvent une salle pouvant accueillir des réceptions, des salons, des défilés ; des appartements mis en location dans les étages et tout en haut, un grand logement luxueux qui sert de logement au propriétaire, avec terrasse couverte , barbecue , jacuzzi ou piscine… Le concept fait fureur au sein de la nouvelle bourgeoisie aymara, issue de la croissance économique bolivienne, qui voit là une occasion de démontrer sa réussite sociale en affichant ses traditions et sa culture. Au premier rang, les cholitas new-look qui organisent dans les cholets des défilés de modes, des expositions artistiques, des ventes de bijoux… De Catavi au boulevard Raspail

Aujourd’hui  pour Freddy Mamani, qui a commencé sa vie comme aide maçon à 14 ans dans la petite communauté andine de Catavi, c’est la consécration. A seulement 47 ans, il a dessiné et construit près de 150 immeubles à El Alto et son modèle architectural s’exporte désormais à Potosi ou à Santa Cruz (voir ci-contre), mais aussi au Pérou et au Brésil. Son architecture, qui était à ses débuts taxée de « décorative, spontanée, sans réflexion », a désormais droit de cité dans le monde entier . A ce propos, on conseillera au lecteur métropolitain réfractaire aux vols transatlantiques de visiter à la Fondation Cartier l’exposition « Géométrie Sud, du Mexique à la Terre de Feu » jusqu’au 24 février pour contempler les réalisations du maître aymara.

*Merci à Frédéric Faux et à Vincent pour"Les boliviens rebelles" (éditions HD)

Comments

[Fse]

Un super article qui complète bien l'expo de la fondation Cartier !

[Alexis]

Trop fort ! J'ouvre le télérama de cette semaine et qu'est-ce que je vois ? un reportage de Luc Le-Chatelier sur l'expo "géométries sud" et les immeubles de Freddy Mamani.

[Laurent]

Tu l'as rencontré ?

[Citizen lambda]

Kitsch et flashy !