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Diario (chiquito) de Bolivia
Journal bolivien subjectif et aléatoire
Suivez le FIL : en alternance , une Figure, une Idée, un Lieu en quasi-direct de l'état plurinational
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17 novembre 2019

Jeanine, nouvelle héroïne ?

7FQLBDQJ5REIDHBDFV7SN3R5GMUn des mérites de la crise sociale et politique qui secoue la Bolivie depuis un mois, aura été d’installer pour la deuxième fois dans l’histoire du pays une femme sur le fauteuil présidentiel. Mais Jeanine Añez, comme Lidia Gueiler Tejada , la première présidente bolivienne à l’orée des années 80, ne doit cet honneur qu’à une désignation par intérim prévue par la Constitution en cas de vacance du pouvoir. L’exil précipité d’Evo au Mexique, le dimanche 10 novembre (voir Ciao Evo !), conjugué aux démissions en cascade des responsables politiques masistes, ont débouché dès le lundi suivant sur l’installation au « Palacio Quemado » de cette avocate de 52 ans, sénatrice du Beni et vice-présidente du congrès.

Le sabre et le goupillon

Le jour de gloire est donc arrivé le 12 novembre pour Jeanine Añez lors d’une session exceptionnelle du Congrès tenue à La Paz en l’absence des élus masistes majoritaires qui avaient refusé de siéger en raison de l’insécurité régnant dans le pays. Une intronisation célébrée dans la foulée au balcon du palais présidentiel (voir photo ci-contre). Brandissant une bible grand format, Jeanine a pavoisé aux côtés des leaders des comités civiques, devant une assistance réduite à la presse et à quelques happy few, puisque la Plaza Murillo avait été fermée au public par la police pour la protéger des manifestations agitant la ville au même moment.

Il convient peut-être de se hâter de tirer le portrait de la nouvelle présidente, qui, si elle excède déjà les quinze minutes de célébrité chères à Andy Wharol, devrait avoir du mal à franchir le cap des trois mois. Membre du Mouvement social démocrate de centre droit, elle participe à la rédaction de la Constitution bolivienne de 2009, est élue sénatrice depuis 2009 et réélue en 2014. Jeanine est une jolie (fausse) blonde dont la plastique Jeanine Bibleimpeccable doit sans doute beaucoup à la chirurgie du même nom (on avait dit pas le physique !) C’est aussi une opposante politique de longue date à Evo Morales, tenante d’une ligne libérale sans équivoque qui s’est signalée à plusieurs reprises par des prises de positions discriminatoires à l’égard des indigènes. Des convictions peu consensuelles que Jeanine a prudemment remises dans sa poche en accédant à la magistrature suprême puisqu’elle s’est donnée deux missions essentielles : pacifier le pays et organiser le plus rapidement possible de nouvelles élections. Ses premières décisions politiques ne sont pas forcément à la hauteur de ces sages résolutions. Jeanine a constitué le 13 novembre un gouvernement provisoire limité aux fonctions régaliennes mais fortement masculin et « blancöide », complété le jour suivant par quelques ministres additionnels dont une cholita ministre du tourisme aux allures de caution indigène de dernière minute. Quant à ses premières concertations, la nouvelle Présidente les a menées avec l’église et l’armée dont elle s’est empressée de changer le commandant en chef, soupçonné d’une proximité coupable avec Evo malgré son lâchage de dernière minute. Une volonté de manier conjointement le sabre et le goupillon que n’aurait pas renié ce bon Francisco Pizarro.

Une victoire par chaos ?

Malgré le départ d’Evo, l’arrêt du « paro civico » dans les grandes villes et la nomination d’une présidente, la Bolivie reste en situation de crise. C’est désormais la gauche bolivienne qui conteste ce qu’elle appelle un coup d’état. La Paz, siège du gouvernement, voit ses rues envahies de manifestations souvent très violentes avec incendies volontaires et mise à sac de bâtiments publics, d’usines, de commerces, usage de dynamite et de cocktails Molotov. Même chaos concernant les voies de communication, désormais bloquées par ce que les médias appellent des mouvements proches du MAS, soit des communautés indigènes, des paysans ou de pauvres gens vivant de l’économie informelle et dont on prétend qu’ils sont téléguidés et rémunérés par Evo, le Venezuela ou Cuba. Difficultés d’approvisionnement, impossibilité de se déplacer, magasins et services publics fermés, le pays continue de fonctionner au ralenti. La ville de Cochabamba en particulier, lieu stratégique de confrontation entre opposants à Evo et cocaleros gagnés à sa cause est le théâtre de véritables scènes de guerre. La police et l’armée protègent la ville de manifestants dotés d’armes de fortune en employant la manière forte. Déjà des centaines de personnes emprisonnées et au moins cinq morts suite aux affrontements.

Paroles, paroles, paroles…

Anticiper la sortie de la crise et prévoir les évènements à venir reste dans ce contexte un exercice bien difficile. D’autant qu’avec la désinformation en vigueur dans le pays et déjà dénoncée dans ces colonnes, il est quasiment impossible de s’appuyer sur des données fiables et des éléments objectifs. Comme souvent en Bolivie, la parole prend toute la place et les déclarations intempestives se multiplient de part et d’autre sans aucune mesure ni même parfois le moindre souci de correspondre à une réalité vérifiable.

Ainsi chacune des parties en présence évoque l’œil humide et des sanglots dans la voix, sa volonté de pacification du pays et son refus de la violence. Dans le même temps, le nouveau gouvernement autorise par décret l’armée à patrouiller dans les rues et précise que les militaires ne feront l’objet d’aucune sanction pénale en cas d’exaction bien entendu « en état de légitime défense ». Pendant que Jeanine se défend la main sur la bible de mener une chasse aux sorcières, la police débusque jusque dans leurs toilettes les membres des tribunaux électoraux accusés de fraude pour les incarcérer sans autre forme de procès comme s’il s’agissait là d’une priorité ultime et les élus du MAS sont contraints à démissionner.

Pas mieux du côté d’Evo qui multiplie les tweets à double sens demandant la paix pour son peuple tout en l'incitant à la rébellion. L'ex-mandataire persiste à ne reconnaître aucune erreur dans ses 14 années de présidence même quand un journaliste pugnace de la BBC s’entête à vouloir évoquer avec lui le référendum du 21 F et le dépouillement controversé des dernières élections.

Des deux côtés, on évoque allégrement la volonté d’ingérence étrangère. Elle est indiscutable au regard des richesses énergétiques boliviennes et du destin symbolique d’un des derniers gouvernements socialistes de la région. Peut-être pas au point, comme le fait Jeanine, de profiter de sa nouvelle fonction pour expulser du pays tout ce qui ressemble de près ou de loin à un agent ou un fonctionnaire vénézuélien ou cubain (dont les médecins venus soigner la population). Evo, lui, s’en prend classiquement aux Etats Unis, à l’OEA et à son rapport accusateur, alors qu’il avait sollicité expressément l’organisation américaine pour tenter de valider sa victoire aux dernières élections. Il faut dire que son secrétaire général, l’Uruguayen Luis Almagro, qu’on disait inféodé à l’hermano presidente, a brutalement changé de cap en parlant pour la première fois de  fraude aux termes d’une mission dont on se demande quel véritable travail de vérification elle a pu mener.

Si Jeanine en est une nouvelle héroïne, il ne faut pas oublier que c’est aussi la cocaïne qui gouverne le pays, troisième producteur au monde. Bien naïf est celui qui penserait que l’exil d’Evo au pays des mariachis mettra un terme au fonctionnement de cette pompe à billets qui graisse la patte et les rouages d’une bonne part de l’économie bolivienne.

Beaucoup de questions, peu de réponses, l’avenir de la Bolivie, actuellement entre les mains de Jeanine, se joue dans les mois qui viennent…

A suivre…

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Commentaires
F
Merci Philippe pour ce regard sur les évènéments boliviens... Impression d'une reprise en main conservatrice qui nécessitera des mobilisations fortes et déterminées... Bonne suite
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