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Diario (chiquito) de Bolivia
Journal bolivien subjectif et aléatoire
Suivez le FIL : en alternance , une Figure, une Idée, un Lieu en quasi-direct de l'état plurinational
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10 février 2020

Ekeko, kesaco ?

Ekeko 5

Pendant qu’Evo tente de tirer les ficelles depuis sa retraite argentine et que les candidatures à la prochaine présidentielle se multiplient, la Bolivie se remet de la secousse d’octobre 2019 en retrouvant les plaisirs simples du quotidien et des multiples traditions locales. Le 24 janvier, le bloggeur en goguette à La Paz se retrouve immergé par surprise dans un gigantesque marché de rue qui s’étale depuis le centre de la capitale jusqu’aux sommets d’El Alto. Petites voitures, maisons de poupées, maquettes d’avion, répliques de billets de banque type Monopoly… Pour un peu on pourrait croire une foire de Noël décalée d’un mois à cause du paro civico. En y regardant d’un peu plus près, on s’aperçoit que les stands sont tenus par des indigènes qui marmonnent à chaque client des paroles ésotériques d’un air pénétré en passant leurs achats au-dessus d’un brasero de fortune. En guise de père Noël, on croise au coin des rues un curieux personnage, la clope au bec, coiffé du chullo des aymaras, trimbalant autour du cou une quincaillerie disparate de répliques miniatures d’objets du quotidien…

Paulita et Coquehuanca

L’Ekeko, ou Iqiqu, puisque c’est de lui qu’il s’agit, n’est pas né de la dernière pluie d’été à La Paz. Ce Dieu de la fertilité, de l’abondance et de la joie était déjà vénéré par les membres de l’antique civilisation de Tiwanaku, ancêtres des Aymaras des hauts plateaux boliviens. En 1790, Paulita, jeune domestique indigène était aux services du puissant Don Sebastian de Segurola, alors gouverneur de la Paz et commandant en chef des forces armées. Ce fier Ibère dut, à l’époque, faire face à une puissante révolte du mouvement indigène conduite par le non moins fier Tupac Katari qui fit le siège de La Paz pendant des mois (pas trop dur ! Quelle idée de fonder une ville dans un fossé ?). Paulita, qui ne pouvait se résoudre à voir son maître et sa famille affamés, demanda alors à son amoureux nommé Coquehuanca, qui pouvait franchir les lignes de défense car appartenant à la troupe de Tupac, de ravitailler les assiégés. Mais comment expliquer cet approvisionnement inespéré ? La rouée Paulita (la rouerie étant à la servante ce que la fierté est au combattant), montrant à son maître une effigie de l’Ekeko, lui expliqua que les dotations régulières de nourriture relevaient de la générosité de la divinité andine, occultant ainsi la duplicité de son chéri. Quand le siège fut enfin levé, le gouverneur et son épouse resplendissaient de santé au contraire de leurs ouailles mourant de faim. Pour récompenser l’icône précolombienne salvatrice, Don Fernando décréta qu’on fêterait désormais La Paz le 24 janvier au lieu du 20 octobre, jour de la fondation de la ville, et qu’on y révérerait comme il se doit Ekeko, ce petit Dieu si généreux et par ailleurs fort bien doté par la nature (depuis il a été prudemment émasculé pour éviter les foudres de la religion catholique).

ekeko 1

Promesses

Au-delà du folklore, on est surpris de constater la vivacité de la tradition et la participation active d’une grande partie de la population. La fête d'Alasita, inscrite au patrimoine culturel de l'humanité, dure un mois et les statuettes d’Ekeko trônent dans nombre de foyers paceños. Nourriture, argent, logement, outillage, voyages, diplômes… Aucun artefact  ne fait défaut pour symboliser les requêtes faites par le biais de la figurine sacrée y compris dans le domaine sentimental. Comme toujours en Bolivie, l’adresse et l’inventivité des artisans du cru font des marchés dédiés de véritables musées à ciel ouvert d’objets miniatures. L’affluence et le nombre d’achats laissent supposer que le cérémonial a une certaine efficacité, à moins que d’une année sur l’autre, on oublie la désillusion inéluctable qui vient sanctionner les promesses non tenues d’Ekeko. Naïveté, obscurantisme ? On rappellera juste à l’occidental goguenard le succès jamais démenti de La Française des jeux ou l’empilement vertigineux de cierges dans la grotte de Lourdes.

La tradition aymara s’invite d’ailleurs jusqu’à Santa Cruz qui, elle, a gardé le mois d’octobre pour célébrer Ekeko, car en février, c’est le carnaval, autre manifestation bolivienne exutoire et cathartique, qui mobilise toutes les énergies cambas…

Ekeko-Chico

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