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Diario (chiquito) de Bolivia
Journal bolivien subjectif et aléatoire
Suivez le FIL : en alternance , une Figure, une Idée, un Lieu en quasi-direct de l'état plurinational
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9 mars 2020

8 mars : nada que festejar *

manif Santa CruzElles sont 300 à 400 personnes à danser et chanter en ce soir du 7 mars place du 24 septembre sur le parvis de de la cathédrale San Lorenzo au son d’une batucada déchainée. Beaucoup de bruit et d’énergie dans une manifestation majoritairement féminine. Pourtant en s’approchant, on constate vite à voir la détermination des visages et à écouter la vigueur des slogans que l’heure est plus à la colère qu’à la fête. «Je cours plus de risques de mourir d’être une femme que du coronavirus»,  «en rentrant à pied chez moi, je veux être libre, pas courageuse», le texte des pancartes agitées par les manifestantes ne laisse pas de doute : rien à fêter, aucune raison de se réjouir à la veille de la célébration de la journée du droit des femmes en Bolivie.

Rapports de violence

Ce sont deux récents rapports qui viennent à nouveau de souligner l’incapacité du pays à mettre fin à un triste privilège : l’omniprésence des violences faites aux femmes. Selon l’un d’entre eux réalisé après une enquête faite en 2017, 46 % des femmes pauvres et 35,6 % des plus aisées se sentent en insécurité face à la violence dont elles souffrent ou dont elles pourraient souffrir. Le rapport de la CEPAL* enfonce le clou : la Bolivie occupe le troisième rang de féminicides en Amérique Latine avec 2,3 crimes pour 100 000 habitants, seulement précédée par le Honduras (5,1) et El Salvador (6,8). Ainsi 117 Boliviennes figurent au rang des victimes en 2019 et 27 femmes sont déjà décédées en 2020, le plus souvent sous les coups de leurs proches : maris, petits amis, membres de la famille… On pourrait croiser ces chiffres avec ceux des grossesses précoces très courantes en Bolivie ou le nombre important de filles qui se mettent en ménage avant 15 ans (30 000 en 2016), le plus souvent pour fuir leur foyer familial inhospitalier ou en raison de l’arrivée imprévue d’un bébé. Si comme trop souvent dans le monde, les femmes ont, en Bolivie, la responsabilité quasi-exclusive du soin des enfants et des tâches ménagères, on compte aussi sur elles pour remplir la marmite qu’elles font bouillir. Les femmes représentent 46% de la population active, 47 % des salariées et 53 % des travailleurs indépendants. Elles sont 90,1 % parmi les pauvres à participer aux ressources du foyer contre 64,1 % pour les plus riches. Une situation qui pourrait favoriser progressivement leur indépendance et leur accès à l’égalité et au pouvoir économique, ce qui est loin d’être le cas malgré les discours et les célébrations pompeuses d’Evo en direction des femmes, repris à son compte par la nouvelle présidente Jeanine Añez.

Macho latino

En effet, au moins en apparence, la cause des femmes est un élément important dans les discours officiels depuis la première présidence d’Evo Morales. De nombreuses femmes ont accédé aux responsabilités politiques, l’égalité et le respect des minorités sont inscrits dans la Constitution et on est très loin à La Paz ou à Santa Cruz du comportement lourdingue et machiste qu’elles subissent dans de nombreuses capitales mondiales. Comment dès lors expliquer cette vulnérabilité, cette recrudescence d’actes violents et les inégalités de genre qui perdurent en termes de droits humains fondamentaux ?

Certainement dans un premier temps, la difficulté à soulever la chape de plomb de la culture machiste latino, profondément ancrée dans les relations et les comportements et encore renforcée par la place prépondérante de l’église catholique qui, sur tout le continent, encourage le patriarcat et interdit la contraception et l’avortement. Une prédominance renforcée par la situation enclavée de la Bolivie qui la rend moins perméable aux influences étrangères, asiatiques, états-uniennes et européennes. Sans doute aussi, l’héritage de communautés indigènes qui ne se sont jamais signalées par la place de choix qu’elles réservaient aux femmes.

Autre verrou, la difficulté récurrente du pays à faire appliquer les lois et les règlements édictés. En Bolivie, selon qu’on soit puissante ou misérable, on pourra ou non activer les bons leviers pour faire respecter le droit du travail, dénoncer un harcèlement ou une agression, accéder aux personnes ou aux structures qui pourront vous aider. Justice et Police fonctionnent à plusieurs vitesses selon l’honnêteté et la disponibilité des fonctionnaires et la somme que l’on est prêt à mettre pour accélérer les procédures. Un obstacle d’autant plus important lorsqu’on est femme, pauvre de surcroît. Un récent scandale à Santa Cruz a vu la libération après une simple garde à vue d’un groupe d’adolescents qui avaient drogué et violé une amie de leur lycée dans une chambre d’hôtel.

Quand je serai grande, je ferai comme maman

Enfin, comme dans toute question sociale, une des clés se trouve dans l’éducation dispensée dès le plus jeune âge aux filles comme aux garçons et, paradoxalement, majoritairement par des femmes : mamans, nounous, enseignantes… Dans une SIMG_4450anta Cruz mondialisée, c’est le marketing qui prescrit aux familles comment doit se vêtir une petite fille ou un petit garçon, quel jouet va lui faire plaisir, pourquoi le cartable bleu ou rose est celui qui va le mieux. A sept ans, les petites Boliviennes de la bonne société arrivent à l’école avec un mignon petit nœud dans les cheveux, ou mieux un serre-tête doté d’une corne de licorne, avec des chaussures, des trousses et des cartables roses, elles ont aussi un joli parapluie pour ne pas se mouiller les cheveux et « n’ont pas le droit de se salir » pour préserver leur belle petite robe... Leurs camarades de l’autre sexe se pointent en short et en basket, leur cartable est en forme de voiture de course ou à l’effigie de Spiderman et grâce au ballon qu’ils ont sous le bras, ils pourront se claquer un foot à la récré et revenir à la maison couverts de terre et une couronne au genou. A cet âge crucial, tout est déjà presque dit et se préfigurent les créatures de rêves qui paraderont dans une dizaine d’années à Fexpocruz sous deux centimètres de maquillage et sur quinze de talon.  Au pied de l’estrade, leurs anciens camarades de classe, le pectoral bodybuildé et le cheveu gominé, leur jetteront un œil concupiscent, lorgnant de l’autre sur le dernier 4x4 en promo.

Elles ont bien raison, les manifestantes de la cathédrale : rien à fêter ce 8 mars ! Plutôt se retrousser les manches et se mettre au boulot. Et pendant ce temps-là, en France, une armée de procureurs amateurs refait le procès en place publique d’octogénaires pour des faits prescrits ou déjà jugés…

*Rien à fêter

*Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes

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