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Diario (chiquito) de Bolivia
Journal bolivien subjectif et aléatoire
Suivez le FIL : en alternance , une Figure, une Idée, un Lieu en quasi-direct de l'état plurinational
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19 avril 2020

Futból de altura*

Hernando-Siles15 mars 1997, Stade Hernando Siles à La Paz,  Jacques Chirac est  élevé au titre de grand condor (sans jeu de mot !) par le président bolivien de l’époque Gonzalo Sanchez de Lozada (voir la vidéo !). Depuis 1994 et la qualification surprise de la Bolivie pour le Mundial des Etats-Unis, l’ex-président français est en effet un héros national en Bolivie. A l’époque, « la Verde », l’équipe nationale de football bolivienne l’emporte 3 à 1 à domicile contre l’Uruguay et décroche son ticket pour les USA en éliminant de la compétition une des meilleures équipes du monde. Deuil national à Montevideo et levée de boucliers à la Fédé internationale de football qui attribue la victoire bolivienne aux conditions particulières dues à l’altitude et parle d’interdire l’organisation de matches officiels à La Paz. Chirac, soutenu par l’icône Michel Platini,  se fend alors d’un courrier cinglant à l’intention des dirigeants du football mondial pour défendre le droit imprescriptible des petites nations de la planète à pratiquer le foot à la maison et gagne ainsi la reconnaissance éternelle de tous les Boliviens passionnés de ballon rond.

Un palmarès à couper le souffle

Tout étranger à La Paz qui s’est risqué un jour à taquiner la gonfle avec les gamins des rues ou en compagnie des nombreux joueurs du dimanche dans la capitale a en effet rapidement compris sa douleur, jambes coupées, souffle court, accélération de tracteur et appelant sa maman au secours au bout de dix minutes de jeu. Selon les spécialistes, le déficit d’oxygène à 4000 mètres amoindrirait de quelques 20% les capacités aussi bien aérobiques et anaérobiques du sportif, c’est-à-dire son endurance comme sa résistance. Production accrue d’acide lactique, fréquence cardiaque accélérée sont rapidement au rendez-vous alors que les autochtones, dopés par leur production maison de globules rouges, continuent à cavaler comme des lapins au niveau de la mer.  Autre particularité locale non sans conséquence sur la pratique du foot, la pression atmosphérique moindre qui permet au ballon de prendre des trajectoires rapides et surprenantes et à l’adepte de la patate décochée des 35 mètres d’augmenter notoirement ses chances de surprendre l’infortuné gardien ! Pour l’équipe visiteuse désireuse d’avoir des chances de succès, deux stratégies sont possibles. La première, prévoir un séjour d’adaptation préalable de trois semaines pour permettre aux organismes de s’adapter. Cette option, soigneusement mise en œuvre par l’équipe bolivienne, dont les joueurs ne vivent pas tous en altitude, à l’approche des rencontres ou compétitions 206299_ori_importantes, est le plus souvent impossible de nos jours pour les autres équipes en raison des calendriers chargés des joueurs. L’autre solution, mise en œuvre par l’équipe du Brésil, par exemple, consiste à arriver à La Paz trois heures avant le match et à filer directement au stade. Les capacités physiques des joueurs pourraient alors rester un moment préservées. Théorie douteuse si l’on en juge par quelques résultats retentissants qui ont fait la gloire de la Verde au plan international. Qu’on en juge plutôt. En 1993, la Bolivie va au bout de la phase finale de la Copa America jouée en Bolivie en disputant tous ses matches à La Paz. Elle perd injustement la finale 3 à 1 en dominant les artistes brésiliens (Cafu, Leonardo, Roberto Carlos, Ronaldo…) pendant toute la partie (voir l’article Erwin Platini Sanchez). Revanche prise en octobre 2009, jour béni où les Auriverde sortent tête basse du stade Hernando Siles, battus 2 à 1 dans un match comptant pour les éliminatoires du Mundial Sud-Africain. En 2010, dans le même stade, l’Argentine de Messi, coachée par Maradona se prend une « goleada » mémorable 6 à 1 devant un public chaud comme la braise qui exulte de pouvoir rabaisser un peu la morgue proverbiale des Gauchos.

Bienvenue à l’abattoir

S’il est  jubilatoire de voir de temps à autre le petit triompher du gros, fusse à l’aide d’un « avantage comparatif » contestable, il n’en est pas de même au plan national. Des voix s’élèvent régulièrement du côté des observateurs du championnat local pour dénoncer son iniquité sportive. Car le stade de La Paz (3570 mètres) n’est pas le plus haut de Bolivie, les équipes de première division du Real et du Nacional Potosi évoluent sur leur pelouse à 3650 mètres d’altitude. Mieux encore, l’équipe d’El Alto, Always ready, joue toutes ses rencontres à domicile dans le stade flambant neuf de Villa Ingenio construit il y a trois ans sur l’altiplano à 4150 mètres (voir photo ci-dessous). Autant dire que c’est le plus souvent mission impossible pour les équipes se déplaçant de l’Oriente tropical qui qualifient ce joli stade, bâti dans l’écrin somptueux de la cordillière des Andes, de matadero (abattoir) et y collectionnent les déculottées : 14 défaites sur 14 rencontres cette année pour les trois équipes de Santa Cruz avant l’interruption du championnat pour cause de coronavirus. Ce surnom inquiétant d’abattoir peut d’ailleurs être pris au sens propre. En 2019, trois joueurs des équipes venues des llanos (les plaines) ont dû être évacués du terrain pour des malaises et un malheureux arbitre est décédé en plein match d’un arrêt cardiaque. On sort là de la simple péripétie sportive. Ces évènements ont conduit la Fédération bolivienne de football et la Confédération sud-américaine de football (Conmebol) à engager une réflexion sur la question. Pas question d’attenter au droit « de jouer au football là où on est né » (Chirac doit soupirer d’aise dans sa tombe) mais peut-être la mise en place de quelques mesures compensatoires  pour les équipes visiteuses : Cinq remplaçants autorisés, pause obligatoire à chaque mi-temps après 30 minutes de jeu, présence de bouteilles à oxygène dans les vestiaires…

Même si cette chronique en manque un peu (d’oxygène), ça fait du bien de respirer un autre air que celui vicié par le coronavirus, non ? 520 cas déclarés (dont 255 à Santa Cruz), 32 morts, la Bolivie, pourtant nullement favorisée par l'altitude en la matière, résiste encore et toujours à l’envahisseur…

* Football d'altitude

estadio_de_villa_ingenio

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